Découvertes archéologiques au sud de Djiroft (province de Kermân - Iran)

la plaine de Djiroft

l'homme-scorpion de Djiroft

palmeraie autour du Tépé de Konar Sandal

 

Pendant ces jours gris d'hiver, alors que les sentiments d'exil et d'éloignement du pays endolori se font de plus en plus pesants,  chaque fois que je regarde par la fenêtre tomber la neige salie, je ne peux m'empêcher de penser à la poésie "Arash" de feu Siâvosh Kasrâyi :

« ... La neige tombe, tombe, ...  
        sur les pierres et rochers, montagnes éteintes, vallées mélancoliques,
        au creux de l'abri éclairé, près de la flamme de l'âtre, ...»

palmeraie vue par les artistes de ... Aratta  

L'enthousiasme de l'oncle Nowrouz narrant ses histoires et  la chaleur de la flamme me réchauffent le cœur.
Ce ciel nuageux encadré par la fenêtre m'est témoin que pendant toutes ces années où mon regard s'est fixé sur lui,  pas un seul instant je n'ai cessé de penser à mon pays ; c'est étonnant que ces jours-ci je ne cesse de rêver sur l'Iran malgré toutes les calamités actuelles, et cette iranienne que j'avais construite dans mon fort intérieur s'est complètement transformée.
Notre Iran vit des jours de crise. Notre peuple, ligoté par vingt sept ans de sursauts continuels et de lassitudes insoutenables, s'efforce de porter à l'oreille du monde son cri pour la liberté.

Au sujet de la construction du barrage de Sivand, le régime inhumain de la république islamique n'a jamais entendu la moindre protestation, qu'elle vienne d'institutions culturelles internationales ou d'intellectuels et scientifiques iraniens ; aux dernières nouvelles, le remplissage du barrage devrait avoir lieu l'année prochaine et les vestiges historiques de la région disparaitront. Est-ce-que,  sur les lieux du site archéologique des gorges de Bolaghi, ces messieurs ont quelque chose à cacher sous les eaux ? Est-ce la même réaction que celle qui consiste à passer sous silence les vingt sept ans de crimes perpétrés à l'encontre du peuple iranien ?
 

Toute personne dotée d'un minimum de raison est bouleversée par l'obstination, la férocité et la violence avec laquelle le régime anéantit tout ce qui est en rapport avec l'«iranité».
Il semble étonnant que, face aux récentes découvertes de Djiroft, le régime réagisse d'une manière aussi différente. Ces messieurs ont même organisé deux conférences internationales sur ce thème.  La première fut organisée à Téhéran du 16 au 18 août 2003, sous le titre dithyrambique de "Première conférence internationale sur les anciennes relations culturelles entre l'Iran et l'Asie occidentale" ; la deuxième se tint dans la ville même de Djiroft pendant les trois premiers jours de février 2005.
Avec les découvertes de Djiroft, il est certain que l'Iran va, comme le phénix, renaître de ses cendres, mais quelle est la finalité de l'hypocrite politique du régime à ce sujet ?

Revenons maintenant sur ces découvertes exceptionnelles (dont la divulgation remonte à août 2003) et sur leur importance dans l'Histoire des civilisations.

Sur la place centrale de la ville de Djiroft en 2005 on pouvait lire : tout ce que nous avons, nous le devons à la Révolution ... !

Depuis longtemps, des objets très anciens d'origine mal définie, alimentaient des collections et des galeries aux Etats Unis, en Europe et en Asie. Ces œuvres ont fini petit à petit par attirer l'attention des experts archéologues. Les enquêtes menées par ceux-ci, les ont orientés de fil en aiguille vers les douanes iraniennes.
Pendant l'année 2001, le gouvernement iranien avait été averti à plusieurs reprises.  A la suite de longues investigations, des fonctionnaires des douanes iraniennes ont fini par révéler que des bandes parfaitement organisées, en relation avec les villageois de certaines régions de l'Iran, ont sorti du pays en toute illégalité des milliers d'objets en terre cuite ou céramique. A la suite de ces révélations, les archéologues iraniens réagirent et se mirent à la recherche d'échantillons de ce type d'objets sur les sites de fouilles.  Ces recherches minutieuses eurent comme conséquence de focaliser l'attention des archéologues iraniens sur la région de la rivière Halil (Halil roud), à une vingtaine de kilomètres au sud de la ville de Djiroft, où de pauvres villageois démunis s'étaient partagé une grande superficie en zones bien définies et chacun fouillait et  creusait sa propre zone ; chaque famille s'était approprié une surface d'environ 6 mètres par 6 mètres. Chaque fois que les archéologues s'approchaient de ces zones, ils étaient pourchassés et éloignés par les villageois.
A la poursuite de la filière des contrebandiers, des maisons privées furent perquisitionnées dans les villes de Bardsir, Djiroft, Bandar Abbas et Téhéran, et des milliers d'objets antiques furent retrouvés.
Ce n'est qu'en février 2003 que, finalement, le gouvernement envoie l'armée sur les lieux pour déloger les villageois et mettre fin à leurs excavations. Ensuite, un groupe d'archéologues, sous la direction de Monsieur Youssef Madjidzadeh, est envoyé sous la protection de l'armée.
Malgré les 'labourages' effectués par les villageois pendant deux ans ou plus, Madjidzadeh se rend tout de suite compte de l'importance des découvertes ; il fait immédiatement inviter les plus grands experts mondiaux des civilisations de Sumer et d'Ilam, en particulier : Holly Pittman (université de Pennsylvanie), Jean Perrot (chercheur du CNRS), Carl Lamberg-Karlovsky (professeur à l'université de Harvard).
Ces experts découvrent que les zones 'fouillées' par les villageois correspondent à l'immense cimetière d'une ville ancienne ; en effet les objets pillés correspondent le plus souvent aux offrandes qui étaient placées dans les tombes avec les défunts ; dans chaque tombe, on trouve en moyenne 50 à 60 objets différents. Le malheur c'est que les fouilles maladroites et inconscientes des villageois ont complètement réduit en poudre tous les ossements qui sont pour les experts les meilleurs indicateurs de l'identité et du style de vie des populations anciennes ; il est donc aujourd'hui très difficile de se prononcer dans ce domaine.

l'homme-scorpion et le bouc

coupe avec bouquetin

maquette de la ville autour du Tépé de Konar Sandal avec ses cimetières et le Halil rood qui la traverse

Madjidzadeh et son équipe continuent leur recherche plus au sud le long du Halil roud et, avec stupéfaction, rencontrent de plus en plus de vestiges. Au final, le nouveau site découvert s'étend sur une surface de 50 kilomètres de large et 400 kilomètres de long, depuis Djiroft jusqu'aux marais de Djazmourian, avec des villes, des cimetières et une immense ziggurat ; les vestiges étudiés indiquent clairement qu'il s'agit là d'une civilisation remontant à 3000 et 4500 années avant notre ère (donc antérieure aux civilisations de Sumer et d'Ilam) ; on peut donc parler de la découverte d'une autre Mésopotamie.

 

L'importance des vestiges

Les œuvres trouvées, coupes, boîtes, vases, récipients divers, sont en terre cuite ou en pierre (généralement de la chlorite), ornées de motifs géométriques ou de dessins en relief merveilleux représentant des animaux sauvages ou domestiques, des végétaux divers (souvent des palmiers), et décorées de turquoises, lapis lazuli , jade et autres pierres colorées semi-précieuses ; sur beaucoup de récipients (en particulier sur des boîtes cylindriques en chlorite) on distingue nettement l'allure d'édifices à 2 ou 3 étages.

Beaucoup d'autres objets sculptés affichent des représentations d'athlètes ou de héros et d'animaux divers, le plus souvent aigles, bouquetins, scorpions, lions, serpents, chèvres, vaches. Ces représentations de la nature, d'animaux domestiques et d'humains, ajoutées à la découverte d'antiques grains de céréales, incitent les experts à penser que les gens du Halil roud menaient une vie citadine associée à des activités agricoles, pastorales, artisanales et artistiques.

Les scènes de chasse, de guerre ou les objets relatifs à de telles activités, ne sont jamais représentés sur aucun des vestiges retrouvés. 

coupe avec un héros et deux panthères

coupes ornées de bouquetins et mouflons

boîte cylindre avec des motifs architecturaux

boîte cylindrique avec des lions

 

Les sceaux

Holly Pittman est une spécialiste des sceaux de Mésopotamie ; elle pense que la plupart des sceaux découverts appartenaient à des commerçants venus d'autres régions jusqu'à Djiroft pour acheter des marchandises et ceux-ci utilisaient leurs sceaux pour authentifier leurs marchandises. Le grand nombre de sceaux retrouvés et leur extrême diversité montre l'importance commerciale que pouvait avoir l'antique Djiroft sur le continent.

De nombreux poids ont aussi été retrouvés ; petits mais de tailles très diverses, ils servaient à peser précisément les pierres et objets précieux. De part cette accumulation de sceaux et de poids, Holly Pittman est persuadée que "Djiroft" fut une sorte d'«eldorado» pour les commerçants de l'époque.

Depuis de nombreuses années, les archéologues découvraient en Egypte, Afghanistan, Tadjikistan, Turkménistan et Mésopotamie, des objets précieux dont ils ignoraient l'origine ; les découvertes de "Djiroft" ont maintenant mis ces experts sur une piste sérieuse pour résoudre ces énigmes.

un de ces mystérieux 'sacs à main' (peut-être des poids) avec deux hommes-scorpions face à face portant des cornes bovines

un de ces mystérieux 'sacs à main' (peut-être des poids) en forme de serpent

exemple de sceau avec des dessins de bouquetins

 

Les ziggurats

La plus ancienne ziggurat jusque là découverte date de la fin du troisième millénaire avant notre ère (sans doute vers - 2100) et se trouve en Mésopotamie, à Uruk , sa base est un carré de 120 mètres de côté. 

La ziggurat découverte en 2003 à Konar Sandal, au bord de la rivière Halil, révèle une base carrée de 400 mètres de côté et date du milieu du quatrième millénaire avant notre ère. 

Une modélisation géophysique (par mesure de la résistivité du sol) a été entreprise sur le Tépé de Konar Sandal durant l'hiver 2005 ; cette investigation démontre l'existence, au-dessous des vestiges actuellement explorés et sur une profondeur de 12 mètres, d'autres couches archéologiques dont l'ancienneté augmente bien sûr avec leur profondeur.

une des deux collines (Tépé) de Konar Sandal

boîte cylindrique représentant une ziggurat

maquette de la grande ziggurat de Konar Sandal

 

L'écriture

 

Des échantillons d'écriture sur des morceaux de brique cuite ont été trouvés sur le site du Tépé de Konar sandal ; d'après les experts, cette écriture linéaire (non symbolique) - rédigée par assemblage de petits traits - est différente et antérieure aux plus anciennes écritures trouvées en Mésopotamie, qui elles, s'apparentent plutôt au style cunéiforme.

le premier échantillon d'écriture découvert en 2003 à Konar Sandal

 

L'ancienne Aratta

Depuis des années déjà, les archéologues avaient rencontré sur les tablettes d'argile de Mésopotamie le nom d'un royaume Aratta, sans ne jamais avoir trouvé aucun indice de cette civilisation.  Ces tablettes racontent l'existence d'un royaume très riche et très convoité par les sumériens, Aratta. Le grand roi d'Uruk (sans doute Ur-Nammu) envoie un messager vers Aratta, au nom de la grande déesse Inanna ; il désire s'octroyer les richesses et le savoir-faire du peuple d'Aratta pour embellir les temples consacrés à la grande déesse.
Même l'itinéraire du messager du roi d'Uruk est scrupuleusement décrit : de Suse vers Anshân, puis vers l'est à travers sept montagnes ...
Madjidzadeh et son équipe ont l'intime conviction que l'itinéraire du messager n'est autre que celui qui part d'Uruk jusqu'aux rivages du Halil roud.

Ainsi, les découvertes de "Djiroft" ouvrent un nouvel horizon pour les  civilisations antiques de l'Orient.  Aujourd'hui, archéologues et orientalistes affirment d'une voix  commune que  dans le domaine  de l'Histoire ancienne des peuples, il ya deux époques : celle d'avant et celle d'après les découvertes de "Djiroft" ; l'Histoire des civilisations va devoir être réécrite.

 

Alors que cet article se termine, je regarde à nouveau par la fenêtre, le jour pointe et la neige ne tombe plus.
Je me remets à penser à l'oncle Nowrouz qui parle aux enfants autour d'un feu : 

crépuscule à Konar Sandal .... Aratta ....

... Oui, oui, la vie est merveilleuse,

la vie est comme un autel du feu, toujours en place,

si on l'allume, la danse de sa flamme est  visible de tous les horizons,

sinon, elle est éteinte et cette absence est notre faute.

La vie réclame une flamme,

il faut du bois pour aviver la clarté des flammes ... »
 

 

Shivâ Moghaddam - mars 2006

 

Le temps, le temps c'est la renaissance Historique de la nation iranienne. 

 

traduction du persan et mise en page : C. Perraudin - août 2006
mail
merci à ARTE-TV (février 2006) et Olivier Julien

bargasht ....